Comment améliorer l’efficacité de la chimiothérapie dans les formes les plus agressives du cancer du poumon ? Des équipes de l’Inserm, de l’Université Paris Descartes et de l’AP-HP ont peut-être trouvé la solution à travers le développement d’une thérapie ciblée visant à améliorer la réponse aux sels de platine - la chimiothérapie de référence en cas de cancer du poumon - en neutralisant l’activité d’un récepteur contribuant à l’agressivité de ce cancer. Ces travaux parus dans Cancer Letters, montrent que chez la souris, cette thérapie restaure la réponse à la chimiothérapie et réduit par deux à trois la survenue de métastases.
L’espérance de vie du cancer du poumon métastatique reste très limitée, avec 85 % des patients qui décèdent dans les 5 ans. Les nouveaux traitements disponibles pour certaines populations présentent une réelle efficacité, mais celle-ci est limitée dans le temps et des rechutes successives sont courantes. Accroître l’efficacité des traitements et trouver de nouvelles thérapies reste donc une priorité.
C’est sur cette problématique que travaille l’équipe de Patricia Forgez, chercheuse Inserm, qui en collaboration avec des équipes de l’AP-HP (hôpitaux Cochin, Lariboisière et Saint-Antoine), et de l’Université Paris Descartes développe une thérapie ciblée pour augmenter la sensibilité des tumeurs les plus agressives aux sels de platine, chimiothérapie incontournable contre le cancer du poumon.
Dans de précédents travaux, Patricia Forgez et ses collaborateurs avaient montré que les tumeurs pulmonaires et surtout celles à un stade métastatique surexpriment le récepteur à la neurotensine. Cette dernière est une petite molécule produite dans les intestins et le cerveau, qui se trouve également anormalement surexprimée dans les tumeurs, où en se liant à son récepteur, elle déclenche de manière continue une cascade de signaux stimulant la croissance, la survie et la migration des cellules tumorales. Celles-ci sont ainsi beaucoup plus agressives et sont peu ou pas sensibles aux sels de platine. En corrélant la surexpression du récepteur à la neurotensine avec un plus mauvais pronostic observé chez les malades, les chercheurs ont démontré que ce récepteur est un acteur de la progression tumorale*.
Dans cette nouvelle étude, l’équipe de recherche a développé un anticorps neutralisant spécifiquement la forme de neurotensine produite par les tumeurs**. Elle l’a testé dans plusieurs modèles expérimentaux chez la souris et a observé que la tumeur régressait de 40 à 65 % en taille et perdait en agressivité. Les souris traitées présentaient ainsi moitié moins de métastases ganglionnaires et pulmonaires que les animaux non traités. Les chercheurs ont également montré que l’administration concomitante de l’anticorps avec un sel de platine permettait de restaurer ou d’améliorer l’efficacité du traitement en améliorant l’accès de la molécule thérapeutique à sa cible.
L’objectif à terme est le développement d’une thérapie ciblée permettant de bloquer le récepteur à la neurotensine afin d’affaiblir les cellules tumorales et d’améliorer leur sensibilité aux sels de platine.
« Presque tous les patients diagnostiqués pour un cancer du poumon bénéficieront à un moment donné de leur prise en charge d’un traitement par les sels de platine, rappelle Jean Trédaniel, co-auteur de l’étude et responsable de l'unité de cancérologie thoracique du Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph, que ce soit en première intention ou après échec d’une thérapie ciblée ou d’une immunothérapie. Or, les sels de platine sont toxiques pour l’organisme et il n’est donc pas possible d’augmenter les doses en cas de résistance. Administrer cet anticorps permettrait de rendre la tumeur plus sensible au traitement. En outre, chez la souris, il a été très bien toléré sur le long terme. »
En collaboration avec Inserm Transfert, la SATT Ile de France INNOV, et Fair Journey Biologics, l’équipe de recherche travaille maintenant à développer des anticorps anti-neurotensine utilisables chez l’humain dans l’objectif de débuter un essai clinique. Des résultats encourageants sur le cancer du poumon permettraient d’étendre cette thérapie aux autres cancers exprimant la neurotensine et son récepteur, comme le cancer du sein, de l’ovaire, de l’endomètre, de la prostate, du pancréas, de l’estomac et du côlon.
*Cette découverte a été protégée par un brevet déposé par Inserm Transfert et dont les copropriétaires sont l’Inserm et l’AP-HP. Ce brevet revendique que le récepteur de la neurotensine est un marqueur de l’agressivité tumorale et la neurotensine une cible thérapeutique potentielle.
**Cet anticorps a fait l’objet de plusieurs dépôts de demandes de brevets par Inserm Transfert pour le compte de l’Inserm et de l’Université Paris Descartes ; l’un de ces brevets a été délivré fin 2018 aux Etats-Unis.
Sources:
Zherui Wu1, Ludovic Fournel1,2,3£, Nicolas Stadler1£, Jin Liu1£, Agnès Boullier4, Nadia Hoyeau5, Jean François Fléjou5, Véronique Duchatelle6, Nouzha Djebrani-Oussedik7, Mikaël Agopiantz8, Evelyne Ségal-Bendirdjian1, Anne Gompel1,9, Marco Alifano 1,2, Olle Melander10, Jean Trédaniel1,11*, and Patricia Forgez1*
£ contribute equally to the work
1 INSERM UMRS 1007, Paris Descartes University, 75270 Paris cedex 06, France,
2 Department of Thoracic Surgery, Cochin Hospital of Paris, AP-HP, Paris Descartes University, Paris, France.
3 Paris-Sud, Paris-Saclay University, Orsay, France
4 CBH Biochemistry Laboratory, CHU Amiens-Picardie, Amiens, France
5 Department of Pathology, Saint-Antoine Hospital, AP-HP, UPMC, Paris, France
6 Department of Pathology, Groupe Hospitalier Paris Saint Joseph, Paris Descartes University, Paris, France.
7 Toxicology Laboratory, Lariboisière Hospital, AP-HP, Paris, France
8 Department of Pathology, CHRU Nancy, University of Lorraine, Nancy, France
9 Department of Gynecology Obstetrics II and Reproductive Medicine, Paris Descartes University, AP-HP, Paris, France
10 Department of Clinical Sciences, Lund University, Skåne University Hospital, CRC, Malmö, Sweden.
11 Unit of Thoracic Oncology Service, Groupe Hospitalier Paris Saint Joseph, Paris Descartes University, Paris, France.
Cancer Letters : https://doi.org/10.1016/j.canlet.2018.12.007