Une équipe pluridisciplinaire d’enseignants-chercheurs de Sorbonne Université, de l'AP-HP et de l’Inserm, a mené une étude pilote testant l’impact pédagogique d’un enseignement immersif de la dyspnée en amphithéâtre auprès d’internes en médecine. Sous le contrôle du comité d'éthique de la recherche de Sorbonne Université et en prenant toutes les précautions nécessaires, l'équipe a élaboré un enseignement innovant sous-tendu par l’hypothèse que vivre une expérience personnelle de dyspnée permettrait d’améliorer la compréhension par les futurs médecins de ce que peuvent ressentir les patients atteints de maladies respiratoires, et par conséquent de contribuer à une meilleure prise en compte de leur vécu. Les résultats de cette étude de recherche en pédagogie ont fait l’objet d’une publication dans Medical Education Online, une revue de pédagogie médicale de rang A.
Manquer d'air, suffoquer, devoir se battre pour faire entrer de l'air dans les poumons, en un mot avoir du mal à respirer est l'une des plus terribles souffrances humaines. Elle est considérée pire que la douleur en raison de son association intime à la peur de mourir. Cette souffrance, physique et psychologique, est ubiquitaire en pathologie humaine, y compris chez les patients qui ne peuvent pas la rapporter verbalement (en réanimation, ou en soins palliatifs). Chez les patients capables de communiquer, elle se manifeste par la dyspnée, une plainte qui résulte de la perception consciente et inquiétante de l'activité respiratoire. La souffrance respiratoire, sous-évaluée en tant que problème de santé publique, l'est également à l'échelle du soin, au point de parler « d'invisibilité ». Les soignants la reconnaissent mal, en sous-estiment l'intensité, et en méconnaissent les impacts psychologiques et sociaux. La non-universalité de la souffrance respiratoire, qui l'oppose à l'universalité de la douleur (tout le monde a eu mal, rares sont les personnes qui ont fait l'expérience de l'étouffement), est l'une des explications possibles de cette invisibilité. Ainsi, pour les étudiants en santé, la notion de ce qu'est cette dyspnée que rapportent leurs patients reste essentiellement abstraite.
L'étude DiscoDys a été conçue selon les principes fondamentaux de l’apprentissage expérientiel théorisé par David Kolb au cours des années 1970. Son objectif était de tester l’impact d’une expérience réelle de dyspnée chez les internes en médecine sur leur compréhension de ce que peut représenter la souffrance respiratoire pour les patients. Au total, 55 internes en médecine d'urgence et 50 internes de pneumologie ont été impliqués dans cette étude. Ils ne se disaient que modérément satisfaits de l'enseignement préalablement reçu sur la dyspnée au cours de leur cursus (médiane 6, gamme interquartile [5–7] sur une échelle numérique de 0 à 10) et exprimaient le souhait fort d'une amélioration de cet enseignement (8 [7–9]). Après une démonstration effectuée sur eux-mêmes par les enseignants, et sur la base du volontariat, les internes ont été soumis à une stimulation inductrice de dyspnée, consistant à les faire respirer dans des dispositifs simples utilisables en amphithéâtre (comme des pailles provoquant des efforts inspiratoires, ou des ballons à réinspiration provoquant une sensation de manque d'air), pendant une durée allant de quelques dizaines de secondes à deux minutes au maximum. Les étudiants étaient informés au préalable que l'induction de dyspnée par les méthodes utilisées ne comportait aucun risque immédiat en dehors du désagrément ressenti, et qu'ils avaient la possibilité d'arrêter l'expérience quand ils le souhaitaient. Il leur était très clairement indiqué que refuser de participer ou arrêter la participation en cours de route n'avait aucune incidence sur leurs évaluations. Il leur était également indiqué que, dans l'hypothèse où l'expérience serait vécue comme difficile, immédiatement ou de façon retardée, ils pouvaient avoir accès sur simple demande à un psychologue. Le protocole de l'étude avait été approuvé par le comité d'éthique de la recherche de Sorbonne Université.
En réaction aux stimulations génératrices de dyspnée, les étudiants décrivaient leur dyspnée comme intensément désagréable (cotée à 8 [6-9]). Immédiatement après le cours, ils déclaraient mieux comprendre le vécu des patients (7 [6–8]), phénomène qui persistait à un an (8 [7–9]). Les internes ont par ailleurs déclaré s’être sentis plus confiants (gain de confiance coté à 7 [6–8]) et moins anxieux (réduction de l’anxiété cotée à 7 [5-8]) dans la prise en charge de la dyspnée chez les patients aux urgences au cours de l’année écoulée après cet enseignement expérientiel.
En analyse multivariée, le seul facteur indépendamment associé au niveau de satisfaction des étudiants vis-à-vis de l'enseignement reçu sur la dyspnée était la composante expérientielle au travers d'une meilleure compréhension de ce que représente la souffrance respiratoire.
Decavele M*, Serresse L* (co-first authors), Gay F, Nion N, Lavault S, Freund Y, Nierat MC, Steichen O, Demoule A, Morelot-Panzini C**, Similowski T** (co-last authors). 'Involve me and I learn': an experiential teaching approach to improve dyspnea awareness in medical residents. Med Educ Online 2022: 27: 2133588