Un consortium français de recherche sur la prise en charge de patients traumatisés graves, qui a été créé à l’initiative du Dr Tobias Gauss, du service d’anesthésie réanimation de l’hôpital Beaujon AP-HP, et du Pr Pierre Bouzat, du Centre Hospitalier Universitaire Grenoble Alpes, et qui associe notamment le Dr François-Xavier Ageron, du centre hospitalier d’Annecy, a étudié l’impact de la durée de la prise en charge pré-hospitalière sur le pronostic de patients ayant subi un traumatisme grave. Ces travaux, menés en collaboration avec Université de Paris et Sorbonne Université, ont pour particularité d’avoir été menés sur le modèle du système de secours pré-hospitalier qui s’appuie sur la présence d’un médecin sur les lieux de l’accident, comme en France avec les structures mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR). Ils ont été publiés le 25 septembre 2019 dans la revue JAMA Surgery.
L’étude, multicentrique, a été menée de janvier 2009 à décembre 2016. Les données étaient issues de deux registres régionaux prospectifs en traumatologie : le registre Traumabase et le registre du Trauma système réseau nord alpin des urgences (TRENAU).
Créé en 2012 à l’AP-HP, le registre Traumabase comprend actuellement les données de 20 centres à l’échelle nationale avec plus de 23 000 patients. Six centres de référence labellisés « trauma center » et soutenus par l’ARS-Ile de France – hôpitaux Bicêtre, Beaujon, Henri-Mondor, HEGP et Pitié-Salpêtrière à l’AP-HP ; hôpital d’instruction des armées de Percy - ont contribué à cette étude.
Le registre TRENAU, qui existe depuis 2009 en région Rhône-Alpes et qui est devenu en 2018 le registre TSAAR pour « Trauma system Auvergne Alpes Rhône », inclut actuellement plus de 12 000 patients. 13 centres, soutenus par l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes* ont participé à cette étude.
Les patients adultes, ayant subi un traumatisme et admis dans l’un de ces centres régionaux de traumatologie référents entre janvier 2009 et décembre 2016, ont été inclus dans cette étude. Comme c’est le cas dans le système de secours pré-hospitalier français, un médecin était à chaque fois présent lors de la prise en charge pré-hospitalière.
L’analyse des données a eu lieu de mars à septembre 2018. L’association entre la mortalité et la prise en charge pré-hospitalière a été évaluée en fonction de plusieurs variables (comme l’âge, le moyen de transport, la gravité ou les mesures de réanimation préhospitalière). La durée totale de la prise en charge pré-hospitalière (définie comme le temps qui s’écoule entre l’arrivée de l’équipe des secours sur les lieux de l’accident et leur arrivée à l’hôpital) était la variable la plus importante. L’analyse a plus particulièrement porté sur la mortalité à l’hôpital toute cause confondue.
Au total, 10 216 patients ont été inclus. 78% d’entre eux étaient des hommes jeunes, âgés en moyenne de 41 ans. En moyenne l’indice indicatif des lésions (Injury Severity Score) atteignait 17 points (or un score supérieur à 15 indique un ou des traumatismes significatifs). 27% des patients présentaient un traumatisme crânien grave et 10% un état de choc.
Le temps de prise en charge entre l’accident et l’arrivée à l’hôpital était en moyenne de 65 minutes et le taux de mortalité à l’hôpital était de 9,5%. Après ajustement sur les critères confondants (troubles de conscience, sévérité des lésions traumatiques, troubles circulatoires, âge), la probabilité de décès toutes causes confondues augmentait de 4% pour chaque augmentation de dix minutes du délai entre l’accident et l’arrivée à l’hôpital.
Cette étude démontre ainsi une association entre le délai d’arrivée à l’hôpital et la mortalité hospitalière après traumatisme grave, dans un système de soins pré-hospitalier médicalisé comme le système français, comme cela était connu précédemment avec des systèmes non médicalisés. Ces résultats étayent le constat que le délai d’arrivée à l’hôpital doit faire partie des indicateurs suivis dans la prise en charge globale des patients traumatisés graves. Pour les auteurs, ces travaux plaident pour la mise en place de mesures individualisées et pour une estimation du temps nécessaire pour les réaliser. La situation est à apprécier, au cas par cas et sur place, par des médecins experts du pré-hospitalier. Ces résultats ne doivent pas faire sous-estimer le fait qu'une partie du temps préhospitalier est parfois contraint (désincarcération, distance géographique, densité du trafic urbain).
* Depuis une dizaine d’années, l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes anime et soutient la structuration des filières de soins en médecine d’urgence, par l’intermédiaire de plusieurs réseaux d’urgence. La réunion sur le TSAAR, qui s’est tenue en septembre 2018, a notamment permis de présenter le trauma-système régional (cahier des charges, cartographie du réseau…).
Sources:
Tobias Gauss, MD1; François-Xavier Ageron, MD, PhD2; Marie-Laure Devaud, MD3; et al
JAMA Surg. Published online September 25, 2019. doi:10.1001/jamasurg.2019.3475