
Une étude visant à confirmer le lien entre la prise de traitements anti-androgènes et l’allongement de l’intervalle QT, l’augmentation du risque de TdP et donc de mort subite, a été menée à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP par des équipes du Centre d'Investigation Clinique de l’AP-HP, de Sorbonne Université et de l’Inserm. Ces travaux, réalisés à partir de la base internationale de pharmacovigilance VigiBase*, ont fait l’objet d’une publication au sein de la revue Circulation le 4 août 2019.
Chaque battement cardiaque génère une activité électrique conduisant les tissus cardiaques à se décharger puis à se recharger. La durée de la recharge (ou repolarisation) dans le muscle cardiaque ventriculaire, est évaluée en mesurant un paramètre électrocardiographique (ECG), reflet de l’activité électrique du cœur appelé intervalle QT. Certains médicaments allongent cet intervalle QT. Dans de très rares cas, l'allongement de l'intervalle QT provoqué par un médicament peut déclencher une arythmie appelée « torsades de pointes » (TdP). Cette arythmie peut s’interrompre d'elle-même mais, dans de rares cas, elle peut entraîner un arrêt cardiaque pouvant aller jusqu’à la mort subite.
Il est établi que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de souffrir de TdP d'origines médicamenteuses. Cela s’explique principalement car la testostérone, hormone sexuelle, protège les hommes de ce risque en raccourcissant la repolarisation ventriculaire et donc l’intervalle QT. La testostérone est une hormone clef chez les hommes qui sert notamment de facteur de croissance pour la prostate. Le traitement principalement utilisé pour les cancers de la prostate repose sur la suppression de l’activité de la testostérone pour limiter la prolifération des cellules prostatiques.
Les équipes qui ont mené cette étude à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP ont examiné, à partir de la base internationale de pharmacovigilance, VigiBase*, l'association entre la prise de traitements anti-androgènes et l’induction d’allongement de l'intervalle QT, l’augmentation du risque de TdP et de mort subite.
Cette analyse a révélé que la plupart des anti-androgènes étaient bien associés à un allongement de l’intervalle QT, à la survenue de TdP et à la mort subite de manière statistiquement significative. En collaboration avec l’équipe de Vanderbilt University Medical Center (Nashville, Tennessee, USA), l’équipe a aussi confirmé et détaillé les mécanismes électro-physiologiques par lesquels ces traitements anti-androgènes allongent la repolarisation cardiaque (intervalle QT) et favorisent les TdP en utilisant des modèles de cellules cardiaques d’origines humaines.
Si ces résultats ne permettent pas d’évaluer l’incidence réelle de ces troubles, probablement rares, ils invitent à une évaluation plus approfondie de l’influence des anti-androgènes sur l’allongement de l’intervalle QT, la survenue de TdP et le risque de mort subite. Cette étude suggère néanmoins que les patients porteurs de cancer de la prostate traités par anti-androgènes, doivent désormais être considérés comme une population à risque de TdP et devraient bénéficier d’un suivi cardiovasculaire rapproché, en étroite collaboration avec les oncologues et urologues prescripteurs de ces traitements.
Le Dr Joe-Elie Salem et le Dr Stéphane Ederhy ont récemment mis en place le programme UNICO de cardio-oncologie au sein de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP et de l’hôpital Saint-Antoine AP-HP. Ce programme permet de prendre en charge des patients qui sont traités pour un cancer de la prostate et qui montrent aussi des signes de risques cardiaques. De nombreux médicaments cardiovasculaires prolongent l'intervalle QT mais c’est aussi le cas de médicaments non-cardiaques tels que certains antibiotiques de type macrolides, antifongiques, antipsychotiques ou encore les médicaments antipaludiques. Une vigilance particulière semble utile lors de l’association de ce type de médicaments avec des anti-androgènes. De la même manière, il parait important de corriger l’ensemble des autres anomalies (comme le faible taux de potassium, de calcium ou de magnésium dans le sang) qui favorisent les TdP, lors de la prescription d’anti-androgènes.
*VigiBase est gérée par l’OMS et collige toutes les déclarations mondiales d’évènements indésirables suspectés d’avoir été induits par les médicaments.
Source:
https://doi.org/10.1161/CIRCULATIONAHA.119.040162Circulation. ;0
Joe-Elie Salem, Tao Yang, Javid J. Moslehi, Xavier Waintraub, Estelle Gandjbakhch, Anne Bachelot, Francoise Hidden-Lucet, Jean-Sebastien Hulot, Bjorn C. Knollmann, Benedicte Lebrun-Vignes, Christian Funck-Brentano, Andrew M. Glazer and Dan M. Roden.