Les conclusions des travaux de l’équipe dirigée par le Dr Guillaume Darrasse-Jèze, Maître de Conférences à Université Paris Cité, au sein de l’unité Immunologie-Immunopathologie-Immunothérapie (Inserm – Sorbonne Université) permettent une compréhension approfondie du rôle déterminant des cellules dendritiques lors du développement des tumeurs. Leurs résultats dévoilent un effet majeur de ces cellules dans 35 types de cancers humains. À partir de milliers d’échantillons de tumeurs de patients et de modèles murins de cancer, les auteurs élucident les mécanismes immunitaires à l’origine du contrôle exercé par les cellules dendritiques sur la réponse immunitaire contre les tumeurs Ces résultats publiés dans Cell Report Medecine le 19 décembre 2023 ont des implications prometteuses pour l’immunothérapie des cancers.
L’équipe de recherche s’est intéressée pour ces travaux, à des cellules spécifiques du système immunitaire, les cellules dendritiques. Ces cellules, qui dépendent de l’hormone FLT3-L pour leur développement, sont présentes dans tous les tissus de l’organisme et ont un rôle majeur de surveillance et d’alerte contre toute agression. Elles captent toutes les informations qui les entourent : molécules produites par les cellules saines, molécules produites par les cellules malades, molécules présentes dans leur environnement… autant d’informations qu’elles analysent, décryptent et présentent aux autres cellules du système immunitaire.
En produisant des molécules solubles appelées cytokines en présence de ce qu’elles perçoivent comme un danger, les cellules dendritiques peuvent ainsi alerter des cellules de l’immunité innée comme les lymphocytes Natural Killer (NK), efficaces pour lutter contre les tumeurs par exemple. Mais les cellules dendritiques ont également un rôle crucial dans la génération d’une mémoire immunitaire par les lymphocytes T. Ces derniers font partie du système immunitaire adaptatif et se subdivisent en lymphocytes T effecteurs (Teff) et lymphocytes T régulateurs (Tregs). Les premiers (Teffs) vont activer la réponse immunitaire alors que les seconds (Tregs), vont l’inhiber et c’est cet équilibre qui va générer une réponse immunitaire adaptée et efficace, tout en évitant un excès d’inflammation ou l’apparition d’autoimmunité.
Les travaux dirigés par Guillaume Darrasse-Jèze et Katrina Podsypanina et menés par Paul Régnier et leurs collègues, ont permis de montrer que la quantité de cellules dendritiques impactait fortement la survie des patients dans 35 types de cancer, et de distinguer trois types de situations :
- 1ère typologie : l’abondance de cellules dendritiques présentes dans la tumeur est bénéfique et positivement corrélée à l’allongement de la durée de survie des patients. Dans ces tumeurs, l’effet stimulateur de la réponse immunitaire des cellules dendritiques l’emporte sur leur effet inhibiteur. C’est le cas de nombreux cancers comme les cancers du poumon, du larynx ou de la vessie par exemple.
- 2e typologie : la présence de cellules dendritiques dans la tumeur a un effet néfaste sur la survie des patients. Dans ce cas, les cellules dendritiques avantageraient trop les lymphocytes T régulateurs amoindrissant alors l’action des lymphocytes T effecteurs responsables de la destruction des tumeurs. C’est le cas du cancer de l’estomac par exemple.
- 3e typologie : la présence importante de cellules dendritiques dans la tumeur est favorable à une meilleure survie des patients mais paradoxalement pour le même cancer, une faible quantité de cellules dendritiques dans les tumeurs est également associée à une meilleure survie. C’est le cas, entre autres, de l’adénocarcinome pancréatique
Afin de comprendre ces situations différentes et le rôle paradoxal des cellules dendritiques dans certains cancers, l’équipe a étudié ce qui se passe dans les contextes où il y a peu ou au contraire énormément de cellules dendritiques.
Les chercheurs ont montré que lors du développement des cancers, les cellules dendritiques ont tendance à stimuler trop de lymphocytes T régulateurs ce qui va inhiber la réponse immunitaire adaptative antitumorale.
Au contraire, ils montrent qu’en l’absence de cellules dendritiques, il y a moins de Lymphocytes T régulateurs mais étonnamment plus de lymphocytes T effecteurs qui favorisent la réponse adaptative anti-tumorale pour détruire la tumeur.
Parallèlement, les chercheurs ont aussi montré qu’en présence de grandes quantités de cellules dendritiques, toujours dans le cas de cancer, les lymphocytes T régulateurs augmentent de manière significative, ce qui peut inhiber l’élimination des cellules cancéreuses par le système immunitaire adaptatif. Mais la population de lymphocytes « Natural Killer » augmente également, preuve de l’entrée en action du système immunitaire inné. Les chercheurs ont également pu démontrer que ces lymphocytes « Natural Killer » étaient responsables de l’élimination de la tumeur, et ce malgré l’augmentation des lymphocytes T régulateurs.
Enfin les auteurs ont testé avec succès, en approche préclinique, la combinaison d’un traitement par la molécule FLT3-L augmentant la quantité de cellules dendritiques et d’un traitement par un anticorps neutralisant les lymphocytes T régulateurs. Ce traitement par FLT3-L augmente également significativement les effets bénéfiques des inhibiteurs de Checkpoint immunitaires.
Cette étude publiée aujourd’hui dans Cell Report Medicine démontre que la quantité de cellules dendritiques, cellules majeures du système immunitaire, a un effet direct sur l’évolution des tumeurs et la survie des patients dans 35 types de cancers. Cette étude, sur plus de 10.000 patients et plusieurs modèles murins de cancer, lève le voile sur un certain nombre de mécanismes immunitaires en jeu lors de cancers, et devrait non seulement permettre de comprendre plus finement les modes d’action des traitements par immunothérapie et de les améliorer mais aussi de fournir des outils pour prédire quel type d’immunothérapie est adapté à un cancer donné.
Références
FLT3L-dependent dendritic cells control tumor immunity by modulating Treg and NK cell homeostasis – Cell Reports Medicine (2023)
DOI : https://doi.org/10.1016/j.xcrm.2023.101256