La place de l’agent antiviral remdesivir dans la prise en charge des patients hospitalisés pour la Covid-19 a évolué au fil du temps avec l’accumulation de nouvelles données. De nombreux cas d’évènements cardiaques indésirables, en particulier des bradycardies, ont été rapportés au niveau individuel et dans des études observationnelles sans groupe comparateur. Dans ce contexte, et dans le cadre de la réponse européenne, le département de vigilance recherche clinique de l’ANRS Maladies infectieuses émergentes, avec le soutien des équipes de recherche de diverses institutions, dont l’Inserm,* les Hospices civils de Lyon, l’AP-HP et l’Université libre de Bruxelles (ULB), vient de réaliser une analyse post-hoc** de l’étude de phase III DisCoVeRy. Cette analyse a permis d’évaluer la survenue d’évènements indésirables cardiaques chez des patients hospitalisés atteints de la forme modérée à sévère de la Covid-19 et recevant le standard de soins habituel seul ou associé au remdesivir. Aucune augmentation du risque d’évènements cardiaques indésirables lié au remdesivir n’a été mise en évidence par rapport au groupe comparateur. Les résultats ont été publiés dans le numéro de mars 2024 de Clinical Infectious Diseases, accompagnés d’un éditorial de la revue (1,2). Au début de la pandémie, il était urgent de trouver des options thérapeutiques pour traiter les patients atteints d’une forme modérée ou sévère de Covid-19, c’est-à-dire les patients hospitalisés présentant des symptômes respiratoires et requérant de l’oxygène. L’antiviral remdesivir a été l’une des premières options de traitement envisagées dans le contexte de développement rapide de stratégies thérapeutiques. L’essai clinique DisCoVeRy, initialement lancé en mars 2020 par l’Inserm-PRC* en France, et ayant bénéficié par la suite d’une expansion européenne grâce au projet EU-Response (3) financé par la Commission européenne, avait pour but d’évaluer plusieurs traitements possibles contre la Covid-19. Au cours de cette étude, le remdesivir, comme les autres antiviraux testés (lopinavir/ritonavir, hydroxychloroquine, interféron…), n’a montré aucun bénéfice clinique chez les patients adultes hospitalisés et placés sous oxygène par rapport à ceux recevant des soins standard seuls (4). Par la suite, des études sur une autre population à risque de développer un Covid sévère (population non hospitalisée et non oxygéno-dépendante – Pinetree (5)) et une méta-analyse (Prospero (6)) ont démontré une efficacité du remdesivir s’il était administré suffisamment tôt avant apparition d’un Covid sévère. Comme pour tout médicament nouvellement autorisé, la surveillance post-autorisation de mise sur le marché a fait l’objet de nombreuses études. Plusieurs cas cliniques et études observationnelles ont alerté sur la survenue de troubles cardiaques, en particulier de bradycardies sinusales (arythmie correspondant à un rythme anormalement lent du cœur) légères à modérées, observées au début du traitement. En conséquence, le comité d’évaluation des risques de pharmacovigilance (PRAC) de l’Agence européenne des médicaments (EMA) a analysé ce signal de sécurité pour la bradycardie sinusale, concluant en juin 2021 qu’une relation de cause à effet était au moins une « possibilité raisonnable » avec une fréquence indéterminée. C’est dans ce contexte, qu’une analyse post-hoc des données de DisCoVeRy a été entreprise. Dans cette étude, les participants avaient été répartis dans des groupes « homogènes », c’est-à-dire qu’à leur inclusion ils n’étaient pas significativement différents les uns des autres pour un certain nombre de caractéristiques essentielles, comme les comorbidités. Les résultats de l’analyse ont montré que, par rapport au groupe comparateur, le traitement antiviral n’était pas associé à un risque accru d’effets indésirables cardiaques, y compris d’arythmies, quel que soit le degré de gravité considéré. Des évènements cardiaques indésirables ont été signalés chez 46 des 410 patients ayant reçu le remdesivir et chez 48 des 423 patients du groupe comparateur. La différence entre les deux groupes n’était pas significative. La survenue d’arythmie, qui était le plus fréquent des troubles cardiaques dans les deux groupes, était associée dans la majorité des cas à une issue favorable, sans que l’on ait recours à l’arrêt du remdesivir. Ces résultats rendent compte des complications cardiovasculaires, déjà bien documentées, qui sont associées à la maladie elle-même. Ils soulignent également le rôle d’autres facteurs de risque comme les comorbidités préexistantes et l’exposition dans les deux groupes à de nombreux médicaments pouvant provoquer des troubles cardiaques, en particulier en réanimation. Les résultats de DisCoVeRy, basés sur une étude avec un groupe comparateur et randomisé, complètent les données existantes de sécurité d’utilisation du remdesivir chez les patients hospitalisés atteints de Covid-19. Ils sont cohérents avec ceux des méta-analyses et autres essais contrôlés randomisés publiés à ce jour. D’autres travaux, notamment des méta-analyses avec un échantillon plus important permettant des analyses en sous-population, devraient voir le jour prochainement. * Pôle recherche clinique de l’Inserm (Inserm-PRC) ** Analyse de données expérimentales après coup
A propos de l'AP-HP : Premier centre hospitalier et universitaire (CHU) d’Europe, l’AP-HP et ses 38 hôpitaux sont organisés en six groupements hospitalo-universitaires (AP-HP. Centre – Université Paris Cité ; AP-HP. Sorbonne Université ; AP-HP. Nord – Université Paris Cité ; AP-HP. Université Paris-Saclay ; AP-HP. Hôpitaux Universitaires Henri-Mondor et AP-HP. Hôpitaux Universitaires Paris Seine-Saint-Denis) et s’articulent autour de cinq universités franciliennes. Étroitement liée aux grands organismes de recherche, l’AP-HP compte huit instituts hospitalo-universitaires d’envergure mondiale (ICM, ICAN, IMAGINE, FOReSIGHT, PROMETHEUS, lnovAND, reConnect, THEMA) et le plus grand entrepôt de données de santé (EDS) français. Acteur majeur de la recherche appliquée et de l’innovation en santé, l’AP-HP détient un portefeuille de 810 brevets actifs, ses cliniciens chercheurs signent chaque année plus de 11 000 publications scientifiques et près de 4 400 projets de recherche sont aujourd’hui en cours de développement, tous promoteurs confondus. L’AP-HP a obtenu en 2020 le label Institut Carnot, qui récompense la qualité de la recherche partenariale : le Carnot@AP-HP propose aux acteurs industriels des solutions en recherche appliquée et clinique dans le domaine de la santé. L’AP-HP a également créé en 2015 la Fondation de l’AP-HP qui agit en lien direct avec les soignants afin de soutenir l’organisation des soins, le personnel hospitalier et la recherche au sein de l’AP–HP. Pour plus d’information : http://www.aphp.fr